L'Amante marine-Lucie Delarue-Mardrus
L'AMANTE MARINE
Je hantais, par des soirs de songe et de douleur,
Le désert maritime et rocailleux des grèves,
Toujours criant, hélant la sirène ma soeur ma coeur.
Et mes bras étaient pleins de force des sèves
Printanières par qui se gonflent les bouleaux,
Et mon front s'inclinait sous le faix de mes rêves.
Et jamais ne venait à moi du fond des eaux
Et de l'ombre, tordant à sa nudité pâle
Ses cheveux ruisselants de sel et de joyaux,
Celle, pensive, lente et septentrionale
Qui m'eût enfin souri de son visage clair
Et par qui mon désir eût apaisé son râle,
Dont les poulpes parlaient, plus doux que de la chair,
Et les vagues s'enflant vers moi comme des hanches,
Et tout le rythme, et tout le spasme de la mer...
Mais debout devant moi tu souris et te penches,
Et voici déborder mes sanglots orgueilleux
Sur tes seins redressées et dans tes paumes blanches.
Enchevêtrés aux fils légers de tes cheveux
Demeurent des matins marins voilés de brume ;
Deux gouttes d'eau de mer sont au fond de tes yeux ;
Tout le long de ton corps je retrouve et je hume,
Sous tes vêtements pleins de flux et de reflux,
Le parfum d'infini du sable et de l'écume ;
Tes doigts sont surchargés de cahots superflus,
Ton col est trois fois ceint de perles et de pierres...
Ah ! je ne crierai plus, je ne hélerai plus !
Les vagues écoutaient dans le vent mes prières
Profanes, la marée a pris pitié de moi,
L'horizon a comblé mes mains tristes et fières.
Et tel un pêcheur sombre et frissonnant d'émoi,
J'ai vu surgir des eaux du destin ta venue,
Capture de chair lisse et blanche et d'argent froid,
Et j'ai tendu les bras et je t'ai reconnue,
Pour l'épousée en pleurs de mon rêve béant,
La soeur de ma beauté passionnée et nue,
O toi tout mon pays de tristesse et de vent,
Toi tous mes flots roulant des nudités de femmes,
Toi le glauque baiser du natif océan,
Toi le bonheur, l'horreur, l'énigme de mon âme !...